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des mots et des blancs dessous
13 octobre 2008

Il n’y a pas de toilettes en Bulgarie (3)

J’ai passé une bonne partie de la matinée à téléphoner à ma mère. Je voulais lui parler de Julien ; qu’ils continuent à appeler Giuliano ; de ses nuits et de sa disparition de ce matin. Depuis que j’ai quitté Houdeng pour m’installer à Bruxelles, le bout du monde pour mes parents, je leur téléphone tous les jours. C’est la première fois que personne ne répondait. Vers midi, c’est Romolo qui a décroché. Sèchement. « C’est qui ? » « Luca… ça va ? » « Ils ont eu un accident ! » Il accélérait le débit à la limite du compréhensible. « Ce brutto bastardo ! Il a brûlé le feu et il les a renversés. Papa a les deux jambes cassées et maman a tout pris à la tête, elle est dans le coma. Je leur ai toujours dit de jamais passer par là, que c’est dangereux, qu’ils ont qu’à me demander pour aller au marché, tout ça parce que les tomates sont plus fraîches… plus fraîches un cazzo ! y’a les mêmes à Cora… « Romolo, Romolo, ils sont où ? » si je ne l’arrêtais pas, j’allais avoir droit au prix et à la qualité d’un tas d’autres choses que mes parents achètent. « Giordano est avec eux. On a rien dit à Bianca. Moi, je suis passé prendre les cartes de mutuelle, mais je les trouve pas. Tu sais pas où ils les mettent ? » « Romolo, ils sont où ? » « Où tu veux qu’ils soient ! A l’hôpital ! « Oui mais où Romolo ? » « Ah… à Jolimont » J’ai raccroché. Romolo continuait de parler, j’en étais certain. Il aime parler Romolo, depuis tout petit, il parle, il parle, quelle que soit la situation, quel que soit le sujet, il parle, et quand il commence, il ne s’arrête pas. Je n’ai trouvé personne pour garder Julien. Aller le chercher à l’école, prendre le train, aller en taxi à l’hôpital m’a pris deux heures. Ne pas avoir de voitures n’a pas toujours que des avantages. Entrer à Jolimont et marcher dans les couloirs m’a ramené quelques années plus tôt, cette fois-là j’étais avec Agathe ; nous rendions visite à une de ses amies qui avait accouché. J’avais connu Agathe lors d’une soirée organisée par mes parents. J’étais veuf depuis plus d’un an, et mes parents, ma mère surtout, pensaient qu’il était temps, pour le petit surtout, que je rencontre quelqu’un. Agathe était la fille d’une cousine à un degré tel, qu’il n’y avait pas de problèmes à me la présenter. On s’était revu. Et puis on s’était aimés. A peine entrés dans l’hôpital, elle m’avait dit que c’était là qu’était morte une partie de sa famille. « C'est là qu'est morte une partie de ma famille pendant que l'autre moitié rendait l'âme à Morlanwez, dans un autre hôpital qui a été fermé depuis. Ce fut un accident terrible avec deux voitures et une moto impliquées. Au total, sept personnes, toutes mortes... Il s'agissait d'inconnus pour moi mais aussi et surtout de mon parrain, ma marraine, ma nonna et mon jeune cousin. Leur fille n'était pas avec eux. Elle est venue vivre chez nous après le drame, c'est ma cousine Françoise, qui a une quarantaine d'années maintenant, ma quatrième soeur. J'avais quatre ans. Je m'en souviens très bien car ils étaient venus passer la soirée chez nous. Ils s'entendaient très bien avec mes parents, ils partaient en vacances ensemble, ma soeur aînée et mon cousin avaient le même âge, enfin ce genre de choses qui unissent temporairement les gens. C'était le vendredi 13 juin 1980. Il faisait très bon et nous avions passé la soirée sur le morceau de béton coulé à l'arrière de la maison et qui faisait office de terrasse à l'époque. Zia et Zio voulaient rentrer à Famillheureux, chez eux, car ils devaient encore arroser les géraniums. On leur a dit au revoir nonchalamment. On ne les a plus jamais revus. Enfin, si, mon père a insisté auprès des médecins pour revoir une dernière fois sa soeur, fut-elle en morceaux. Ma nonna est la seule à être morte paisiblement car lorsqu'elle a été embarquée par l'ambulance, elle était dans le coma et est décédée quelques heures plus tard. Elle portait quelques bijoux de famille sur elle. On lui a tout volé à l'hôpital... Elle avait notamment des berceuses en or qu'elle avait promis de léguer à ma soeur Agnès qui les adorait. A cause de ces stupides infirmières, elle n'a jamais pu tenir sa promesse. Je suis sure que ces femmes voleuses sont depuis longtemps mortes dans d'atroces souffrances... On ne plaisante pas avec les morts, surtout avec les nonna... Et puis, il y eut les larmes, les cris, les atroces souffrances de mes parents désespérés, et moi complètement paniquée de découvrir que mes parents pouvaient s'effondrer, qu'ils n'étaient pas si forts que ça s'ils pleuraient ainsi. J'ai découvert qu'il n'y avait donc pas que les enfants qui sanglotaient. Et ce fut un drame... C'était il y a 25 ans !!!! Un quart de siècle et mon père continue à allumer des cierges pour eux... Mais pourquoi est-ce que je te raconte tout ça ??? Je ne sais même pas si je l'ai déjà raconté à quelqu'un comme ça. » Je ne sais toujours pas pourquoi elle m’a parlé de cela, mais cet épisode nous avait rapprochés. J’avais aimé qu’elle me parle de son histoire, elle d’ordinaire secrète et taiseuse. Je m’étais dit que les choses prenaient forme, que notre histoire allait continuer son chemin. C’était il y a longtemps, tout c’est passé autrement et aujourd’hui, elle n’est pas avec moi dans ces couloirs. (à suivre...)
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