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des mots et des blancs dessous
12 octobre 2008

Il n’y a pas de toilettes en Bulgarie (2)

Le bruit était habituel. Mon fils s’était levé et il traînait les pieds. Endormi, les yeux grands ouverts. « Qu’est-ce qui se passe mon bonhomme ? » « Il n’y a pas de toilettes en Bulgarie. » Quoi répondre à un gamin de 4 ans qui, en pleine nuit, vous assure qu’il n’y a pas de toilettes en Bulgarie ? Je reconnais volontiers mes limites. Notamment pour n’avoir jamais été en Bulgarie. J’ai échappé à la malédiction du somnambulisme qui semble frapper tous les enfants de la famille depuis des générations, y compris mes frères Romolo et Giordano, et ma sœur, Bianca. Enfant, j’avais assisté à différentes manifestations de cet étrange phénomène. Ce qui me reste en mémoire comme deux événements inquiétants, c’est ma sœur, elle a 5 ans, qui passe à travers une porte vitrée et, ensanglantée, vient s’asseoir à côté de moi, sur le canapé en disant « aujourd’hui le soleil ne se lèvera pas » ; et une autre fois la même qui entre au salon et urine sur le tapis. Un classique, paraît-il. Du moins dans notre famille. Chaque soir, je priais pour ne pas être comme eux. Cela a marché, je crois. Pas pour mon fils. Pour lui, tout a commencé il y a un an. Nous avions entendu du bruit. Agathe s’était levée, elle était rapidement revenue, nerveuse, « viens voir, Julien est debout, il essaie d’ouvrir le frigo avec son épée. » J’ai compris immédiatement ce qui lui arrivait. Je suis allé lui parler ; comme j’avais vu ma mère le faire chaque fois que l’un de ses enfants se levaient dans sa nuit ; et je l’ai ramené dans son lit, doucement, sans difficultés. Agathe était inquiète. Cette inquiétude s’est amplifiée au fil des nuits. Petit à petit, l’inquiétude a fait place aux reproches, puis aux accusations. Un jour, elle est partie, fatiguée de nous deux. Agathe n’était pas la mère de Julien. Juliette est morte peu de temps après la naissance de son fils. Elle s’est suicidée. Sans rien laisser comme explication. Nous laissant, Julien et moi, sans autre choix que continuer sans elle. J’ai mis du temps à me rendormir. Mon sommeil avait été occupé par des rêves où je tentais désespérément de quitter la Bulgarie, sans y parvenir. Je me suis réveillé tard, il était passé 9 heures. Le silence qui m’entourait m’a tout de suite paru étrange. Je me suis précipité dans la chambre de Julien, la peur au ventre. Il n’était pas là. Il n’était nulle part dans la maison. Je courrais, je passais d’une pièce à l’autre, je suis sorti dans la rue. Personne. Qui a perdu un enfant de vue, même quelques minutes, sans savoir où il se trouve sait l’état dans lequel je me trouvais. On panique. On ne sait pas vraiment où ni comment chercher. On réfléchit. On pense aux derniers moments où on l’a vu dans l’espoir de voir où il va, où il est. Mais penser à tout cela ne faisait qu’augmenter mon malaise et mon angoisse. J’étais près de la porte d’entrée quand j’ai entendu Julien appeler « Papa ! » Sa voix était claire et assurée. Je suis rapidement retourné dans sa chambre. Il était assis dans son lit, il souriait. « Où étais-tu mon bonhomme ? » « Je sais pas, je dormais » « Oui, mais quand tu t’es réveillé, tu es allé où ? » « Ici. Je suis réveillé et je suis ici. J’ai faim ! » Je l’ai pris dans mes bras, le serrant et nous sommes descendus. Durant le déjeuner Julien n’a rien dit. Il mangeait sa tartine au beurre salé, sans les croûtes, et buvait son chocolat froid, comme chaque matin. Il me regardait parfois, silencieux et souriant, comme chaque matin. J’étais certain qu’il n’était pas dans sa chambre quand j’y étais allé, ni ailleurs dans la maison. Julien n’avait pas envie d’aller à l’école, comme souvent depuis quelques semaines. Cela ne m’inquiétait pas vraiment. Nous sommes arrivés en retard à l’école. J’ai averti son institutrice que Julien avait mal dormi, sans parler de somnambulisme ni de disparition. Puis je suis rentré chez moi comme chaque jour depuis bientôt six mois que je suis sans travail. Un matin, j’avais reçu un message sur ma boîte vocale : « Ceci est un message pour Luca Ciappi. La direction a décidé de réorienter ses activités. Celles-ci ne vous concernent désormais plus. A partir de ce jour, vous ne faites plus partie de ses collaborateurs, vos effets personnels vous seront renvoyés par colis dont vous voudrez bien acquitter le montant du transport. » C’était la voix d’Aurore. Nous avions passé trois ans dans le même bureau et partagé quelques repas et confidences. Elle me vouvoyait pour la première fois. Cela m’a étonné, plus que de perdre mon boulot. (à suivre...)
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