Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

des mots et des blancs dessous

22 novembre 2008

J'adore la Saint-Verhaegen

IMG_1264 J'adore la Saint-Verhaegen. Ce moment où l'élite estudiantine parcourt et bloque les rues sans aucune revendication et boit jusqu'à plus soif comme des puits sans fonds. J'adore la Saint-Verhaegen.Vraiment. Cela remonte à loin. Je dois avoir 4 ou 5 ans. Je suis avec mon papa en rue. Je ne sais plus ce que nous faisons, mais je dois être content. J'étais toujours content quand je me promenais avec mon papa, j'étais fier aussi. Je me souviens que mon papa avait des béquilles. Il y avait beaucoup de monde. A un moment, il y a quelques jeunes hommes, tout blanc mais tout sales, qui lui demandent de la monnaie. Il dit non. Attention, si vous ne donnez pas de monnaie, on va vous jeter de la farine... Je vous parlerai de mon père une autre fois, sachez simplement qu'il était plus proche de Lino Ventura que de Michel Blanc. Non reste non. La promesse est tenue, et la farine nous tombe dessus. Je n'ai rien vu partir. Ils n'ont rien vu arriver, mais ils sont deux par terre. Chacun a pris un coup de béquille sur la tête. Des années plus tard, je suis en secondaire, dans une école que l'on nomme aujourd'hui école-ghetto ou école-poubelle. Les tout-blanc tout sales arrivent. Même langage, même discours, mêmes menaces. Aldo se lève et ferme la porte. Ils n'ont rien vu venir, mais le peu d'argent qu'ils avaient, c'est nous qui l'avons. Et puis, tant qu'on y est, on leur a pris leurs vêtements en leur donnant quelque claques amicales. Plus jamais, les tout-blanc tout sales ne sont revenus. Hier soir, je les ai croisés. Ils sont toujours aussi blancs et toujours aussi sales. Il y a moins de farine. Je m'amuse. Je les suis et je leur crache dessus. Ils sont tellement blancs et tellement sales que cela ne fait pas de différence. J'aime bien. J'essaie de viser la tête. Ce magma de cheveux embiérés et enfarinés qui ne verra pas la différence. Je vous l'ai dit, j'adore la Saint-Verhaegen.
Publicité
Publicité
26 octobre 2008

Bon voyage au Malvenu (3 et fin)

On distingue clairement le son de la fanfare maintenant. Elle joue Nous leur dirons adieu. A la mélodie s’ajoute le bruit d’une foule qui paraît nombreuse. Le ciel s’est obscurci et il commence à pleuvoir. Réjane s’est assise. Elle a posé la tête sur ses bras. Elle dort peut-être. Paul remonte à l’étage. Il arrive devant la chambre de sa fille. Il veut y entrer, mais la porte est fermée. Il crie pour que Réjane lui apporte la clé. C’est dans cette chambre qu’il avait aidé sa fille à s’endormir, lui chantant des airs tristes qu’il tenait de sa mère. Aucune réponse ne lui parvient. Il redescend. La cuisine est déserte. Paul cherche Réjane dans toute la maison. Elle n’est nulle part. De retour dans sa chambre, il voit, par la fenêtre, la pluie qui devenir torrentielle. Les rigoles n’arrivent plus à contenir l’eau. La musique est assourdissante. Des cris de la foule, Paul ne parvient à saisir aucune signification. Cela ressemble à un cri passant de l’aigu au suraigu sans discontinuer. Le niveau de l’eau atteint le milieu des portes et il continue à monter à grande vitesse. Le ciel est complètement bouché par de gros nuages gris-noir. Un coup de sirène retentit. Enorme. Grave. Proche. La plupart des vitres explosent et terminent leur existence transparente dans le torrent qu’est devenu la rue. C’est là que Paul voit le bateau. Il vient de déboucher dans ce qui était l’Avenue Molière quelques minutes plus tôt. Il est gigantesque. Il dépasse le sommet des immeubles. Il racle les façades, brisant et emportant balcons et corniches. Il déchire la banderole lui souhaitant bon voyage. Il est d’un gris encore plus sombre que celui du ciel. Il avance calmement. La fanfare se trouve sur le pont supérieur. Elle joue le même thème sans aucune variation. Les cris de la foule s’amplifient encore, mais Paul ne voit personne d’autre que les musiciens de la fanfare. Le bateau est à environ deux cents mètres. L’eau commence à pénétrer dans les pièces du deuxième étage. Paul Verschelde va au grenier, puis sur le toit. Le bateau est tout près. Il passera devant lui dans quelques minutes. Il distingue le pont inférieur. Ce qu’il avait pris pour une bâche noire remuée par le vent, ce sont des milliers de rats, de toutes tailles, qui courent sur le pont, et ce qu’il pensait être les cris d’une foule est le bruit de toutes ces bêtes se disputant il ne sait quel butin. « Je t’avais prévenu. Les voilà. Tu n’aurais pas dû leur refuser notre fille. » Paul se retourne. Réjane est à l’autre bout du toit. Elle semble apaisée, presque heureuse. « Ton intervention d’hier les a empêchés de l’emmener. Alors, ils viennent te prendre. Tu n’y peux plus rien. Mon pauvre Paul… tu vas mourir sans savoir pourquoi… Adieu Paul… » Lentement Paul se sent tiré vers l’arrière. Il se retrouve au milieu de la fanfare. Il reconnaît ses voisins, ses amis, ses parents, tous ceux qu’il a connus durant ces cinquante années de vie et qui sont morts. Chacun a une parole ou un geste amical. Tous l’entourent, le serrent, le pressent, l’obligent à reculer. Soudain, la musique s’arrête. Tous s’écartent. Paul Verschelde est au bord du pont, le dos tourné aux musiciens. Il ne regarde pas derrière lui. Il sait qu’il lui reste quelques secondes avant d’être précipité au milieu des rats qui grouillent dix mètres plus bas. Ces secondes, il les passe à se demander qui le poussera.
25 octobre 2008

Bon voyage au Malvenu (2)

« Qu’est-ce qui t’a pris, hier ? » Réjane se met à parcourir la pièce nerveusement. Paul se demande ce dont elle veut parler. Seules deux chose lui reviennent en mémoire, la couleur blanche et une forte odeur de désinfectant. Cette odeur, il la connaît bien. Enfant, il avait passé beaucoup de temps dans les hôpitaux. L’hôpital, c’est là qu’il avait rencontré son meilleur ami. Il avait partagé la chambre de Marcel pendant plus d’un mois. Ils ne s’étaient quasiment plus quittés, jusqu’au jour où la fille de Marcel était morte dans un accident de voiture. Marcel avait perdu la raison et il se trouve aujourd’hui dans un centre fermé, où Paul n’a jamais voulu aller le voir. Sa fille !! Les choses lui reviennent en bloc à présent. La veille, il s’était disputé avec Réjane au sujet de sa fille. Marie-Christine avait appelé depuis l’hôpital, paniquée. Elle allait accoucher et avait peur que les choses ne se passent pas bien, elle suppliait ses parents de venir. Réjane avait voulu d’abord terminer le travail au salon lavoir, ils arriveraient bien assez tôt. Paul était parti seul. A l’hôpital, il s’était heurté au médecin, qui ne voulait donner aucune information. Il avait fait un tel scandale qu’on lui avait laissé voir sa fille et son bébé. A partir de là, c’était là, c’était le noir complet. Jusqu’au réveil. « Je suis désolé pour hier » « Désolé !!! Tu es désolé !! Il va falloir trouver autre chose ! Tu ne te rends pas compte de ce que tu as fait… « Oui, je sais » Sans doute avait-il fait des dégâts, se dit-il « mais tu verras, tout va s’arranger. Quand nous irons voir Marie-Christine et le petit Ernest tout à l’heure, je suis certain que tout s’arrangera. » Réjane le regarde fixement, l’air méchant. Il se tait, persuadé qu’elle va le frapper q’il dit un mot de plus. « Ca suffit ! Tais-toi ! Mes parents avaient raison, tu es complètement fou ! J’en ai marre !!! Il y a longtemps que j’aurais dû partir. » Paul se rappelle encore quelques scènes de la veille. La panique de Marie-Christine. Le regard apaisé de sa fille lorsqu’elle le voit entrer. Une sensation d’avoir lutté physiquement. Et puis, la terrible dispute avec Réjane. Il ne parvient pas à la situer dans le temps, mais il sait que jamais ils n’avaient été aussi loin. Il se rappelle clairement les menaces de Réjane. Elle dit qu’elle va le quitter. De leur trente ans de vie commune, elle dit ne garder que de la rancœur. Elle se moque du bonheur que Paul s’obstine à se remémorer. Du gâchis… c’est comme cela qu’elle qualifiait ces tente années passées ensemble. « Tu te rends compte qu’ils seront là dans peu de temps et qu’ils vont t’emmener ! Jamais ils ne pardonneront ce que tu as fait. Et moi non plus je ne te pardonnerai pas ! comment as-tu pu ?!! Pourquoi… pourquoi » Elle semble l’implorer. Paul ne sait quoi penser. A vrai dire, il ne comprend rien. De quoi parle-t-elle? (à suivre...)
23 octobre 2008

Bon voyage au Malvenu (1)

Paul Verschelde s’est réveillé tard. Le soleil qui illumine toute la chambre à coucher l’a ébloui dès qu’il a ouvert les yeux. Le réveil est arrêté. Il lui faut de longues minutes pour sortir complètement de l’inconscience. Dans le lointain, il entend une fanfare et une sirène de bateau. « C’est le dernier bateau qui s’en va » pense-t-il. Cette pensée le trouble, car il n’y a plus de bateau dans la ville depuis que le canal avait été vidé de ses eaux fétides et transformé en zoo. Paul se lève et va voir à la fenêtre. L’avenue est déserte. Les portes et les fenêtres sont toutes fermées. Des banderoles blanches, secouées silencieusement par le vent, souhaitent Bon voyage au Malvenu. Il fait chaud. Paul retourne s’asseoir sur le lit. Il a le sentiment qu’une chose grave est arrivée, mais ce n’est qu’une impression, tout ce dont il se souvient, c’est de son rêve, celui d’un vieil homme qui se demande « Pourquoi, alors que nous naissons au même âge ne mourrons-nous pas au même âge. Comment se fait-il que le temps de vie de chacun n’est pas le même ; ce serait bien mieux ! », avant que lui ne se retrouve dans une pièce où gisent des centaines de lits encombrés de vieillards agonisants sous une horloge. Le malaise que ressent Paul Verschelde n’est pourtant pas du au rêve. Sa tête lui semble minuscule, comme enfouie dans un déluge d’ouate et balancée d’un mouvement lourd et lent, comme celui d’un bateau qui se repose d’un long voyage, se laissant bercer par les eaux. La fanfare se rapproche. Les mélodies qu’elle joue, bien qu’encore indistinctes, sont plus audibles. Paul Verschelde retourne à la fenêtre. Il aperçoit un homme et un enfant qui courent et qui disparaissent « en direction du parc » pense-t-il. Un bruit de chaise. Cela vient d’en bas. « Réjane ! » Il n’a pas encore pensé à elle depuis son réveil. Il passe un peignoir et descend. Il trouve Réjane dans la cuisine. Elle arrange les tulipes dans un grand vase bleu. Elle ne l’a pas entendu arriver. « Bonjour… » dit-il. Au son de sa voix, elle se raidit et emporte les fleurs dans une autre pièce. Quelque chose a changé dans la cuisine, Paul cherche mais ne trouve pas. Quand Réjane revient, il lui demande s’il se passe quelque chose de particulier en ville. « J’ai entendu comme un coup de sirène tout à l’heure, et puis, il y a la fanfare. Tu as entendu la fanfare ? » Réjane le regarde fixement, hausse les épaules et lui demande s’il veut du café. Il l’observe. Cheveux châtains, yeux clairs, un peu de poil au coin des lèvres et au menton, petite, la taille large, une robe à fleurs. Il regarde le jardin à travers la baie vitrée. Le petit abri pour oiseaux qu’il avait placé sur le mur du fond, quelques mois plus tôt, n’a toujours pas trouvé preneurs ; les roses vont bientôt éclore et la pelouse mériterait d’être tondue. Paul Verschelde a l’impression de redécouvrir ce qui l’entoure, comme après une longue absence. (à suivre...)
15 octobre 2008

Il n’y a pas de toilettes en Bulgarie (5 et fin)

Les jours suivants ce fut le défilé de la famille, des amis, des collègues et des curieux. Nous laissions Bianca et Romolo, selon la situation et la personne, régler cela. J’étais l’aîné, tout cela aurait dû me revenir, mais j’étais parti et je n’avais plus vraiment voix au chapitre. On me respectait mais sans plus. Quelques jours après l’enterrement, mes frères et sœur ont commencé à parler de vider la maison et de la vendre. Pendant plusieurs jours, nous avons trié et rangé tout ce que la maison contenait. Julien restait avec moi. Il m’avait dit qu’il n’aimait pas ses cousins, ce que je pouvais comprendre, car ils reproduisaient avec lui le comportement que leurs parents avaient avec moi ; et comme il n’allait pas à l’école, je crois qu’il était content. Il s’amusait avec pas grand chose. Quelques boîtes, quelques vieux jouets que nous avions fatigués à tour de rôle mes frères et moi et il regardait les photos. C’est parmi toutes ces photos – sorties d’une boîte à chaussures où il était indiqué 1949 – qu’il avait pris celle qu’il m’a tendu en disant « C’est là, la maison. Regarde papa. Le château est derrière. » Je ne connaissais pas l’endroit. Il n’y avait aucune indication d’aucune sorte. J’ai demandé à tout le monde si cette maison leur disait quelque chose. Personne ne savait. J’ai demandé si je pouvais garder la photo. Cela a intrigué mes frères, mais ils n’ont pas trop insisté, « Chi se ne fregga ! » avait dit Romolo pour mettre fin au débat. J’avais posé la même question à d’autres dans la famille, mais personne ne savait. La maison a été vidée. Puis, elle a été vendue. Je n’étais pas vraiment heureux de ce qui se passait. J’ai gardé mon lit, un drapeau de la Juventus et la photo. Je crois que je me suis fait avoir par Romolo dans la répartition des parts, je m’en moquais. Tant que l’argent restait dans la famille, ce n’était pas si grave de se faire rouler. Enfin, c’est mon point de vue , mais c’est vrai que l’argent ne m’a jamais vraiment intéressé. C’est ce que me reprochait toujours mon père. J’avais la photo, et cela me paraissait la chose la plus importante. Je me suis mis en tête de retrouver l’endroit et cette maison. Je demandais à gauche et à droite, mais je n’obtenais rien de vraiment intéressant. J’ai acheté une voiture avec une partie de l’argent de la maison ; le reste, je l’ai mis sur un compte au nom de Julien. J’ai commencé à me déplacer pour aller voir un endroit qui peut-être, ou un autre qui sûrement. J’allais dans les agences immobilières. J’allais dans les offices du tourisme. J’allais au hasard. Julien m’accompagnait. Nous passions pas mal de week-end comme cela. J’étais certain qu’il reconnaîtrait l’endroit mieux que moi, qu’il sentirait si nous étions sur la bonne route. Il ne disait jamais rien, mais dès que nous partions, je comprenais que nous faisions fausse route. Cependant, j’étais tellement heureux quand nous partions ainsi tous les deux… A la longue mon enthousiasme a fini par se diluer dans les déceptions et la fatigue. Je me souviens du dernier voyage que nous avons fait. Julien avait 10 ans. Nous étions partis dans la région de Verviers. J’ai eu un espoir lorsque nous nous sommes mis en route, comme si cette fois, quelque chose allait se passer, Julien avait l’air différent, il semblait excité. Cela n’a pas duré très longtemps. Après une demi-heure de route, il était redevenu le garçon calme et serein qu’il est toujours, je crois. Je savais que nous ne trouverions rien non plus ce jour-là. A la fin de la journée, j’étais résigné. J’ai regardé Julien et je lui ai dit que c’était fini, qu’on ne chercherait plus la maison, « Peut-être la trouveras-tu un jour ? Qui sait, c’est peut-être à toi de la retrouver ? » Je me rendais compte que j’avais fini par croire à son histoire. Pendant près de six ans, j’avais passé des centaines de week-end, sur les routes, à parcourir la Belgique (mais cette maison était-elle seulement en Belgique ?) dans tous les sens. La semaine, je travaillais au comptoir de Alitalia, à Zaventem. C’est là que j’avais revu Agathe. Elle partait pour Venise. Il ne nous a pas fallu longtemps pour nous dire que peut-être… Nous passions l’essentiel de notre relation au téléphone. J’habitais toujours Bruxelles. Elle vivait désormais à Grivegnée, près de Liège. Nous nous voyions peu, mais cela semblait nous suffire. Je ne suis jamais aller chez elle ; et j’ai toujours eu le sentiment qu’elle voyait quelqu’un d’autre. Cela m’était égal. Je ne demandais pas plus. Un matin, je l’ai appelée plus tôt que d’habitude ; Il était 8 heures. Elle était dans un train, elle allait à Verviers, elle allait rendre visite à quelqu’un en prison « Je suis visiteuse de prison…ah bon je ne te l’avais pas dit…je croyais ». Nous avons discuté comme l’auraient fait de lointaines et vagues connaissances. Après avoir été coupés plusieurs fois par les tunnels qui encombraient le trajet du train, elle a dit « On arrive dans la vallée. On va bientôt passer à côté du château (…) le voilà…tu devrais le voir….C’est un endroit magique. Il y a une vaste prairie et le château la termine. A l’arrière (…) une vieille demeure qui semble abandonnée. On dit qu’elle (…) construite près d’une source (...) guérisons étonnantes, mais elle (…) tarie aujourd’hui et.. » C’est à ce moment que je me suis rendu compte que Julien était derrière moi et qu’il disait les mêmes mots en même temps qu’Agathe les prononçait. « C’est quoi le nom du lieu Agathe ? » « Attends, je demande… » « Cofontaine », Julien s’était rapproché pour me le dire « Le monsieur dit que c’est un lieu-dit qui s’appelle Cofontaine. Pourquoi tu me demandes ça Luca ? Luca ? » Je lui ai dit qu’elle m’avait donné envie de voir cet endroit et qu’il valait sans doute mieux en connaître le nom. Nous en sommes restés là. Julien s’était tu quand j’avais raccroché. Il me regardait et souriait. Dans ses yeux, il y avait le reflet d’une force prête à tout renverser sur son passage. « On l’a trouvée papa ! C’est la maison où nonno et nonna nous attendent. » « Comment tu sais qu’ils y sont encore ? » « C’est eux qui me disaient quoi dire tout à l’heure quand tu parlais au téléphone avec Agathe. Ils parlaient dans ma tête. » Quoi dire à un enfant de dix ans qui vous annonce que ses grands-parents, morts depuis bientôt six ans, viennent de lui dire qu’ils l’attendent, lui et son père, dans une maison abandonnée près de Verviers ? J’avoue mes limites, notamment parce que je n’ai jamais entendu de voix dans ma tête. Nous sommes partis. Nous avons trouvé rapidement. La route n’allait pas jusqu’à la maison. Il fallait s’arrêter à proximité du château, apparemment abandonné lui aussi, et continuer à pied sur une centaine de mètres à travers des herbes hautes. Il faisait chaud. C’était une belle journée de juin, quand la température se décide enfin à prendre un peu de hauteur. Nous avons eu des difficultés à ouvrir la porte d’entrée, Julien m’aidait de toutes ses forces, cela me faisait plaisir de le voir, petit homme, pousser ainsi. Nous y sommes arrivés. Nus sommes entrés, avons fait quelques pas, Julien s’est mis à courir, et puis je ne me souviens plus de grand chose. Tout s’assombrit, je sens que je tombe et que ma tête vient heurter quelque chose de dur. Je me suis réveillé dans une chambre d’hôpital. L’infirmière m’a dit que je n’avais rien de bien grave. Elle m’a dit que quelqu’un m’avait trouvé inconscient, étendu dans le hall d’entrée d’une vieille maison abandonnée. Il avait été intrigué par une voiture arrêtée près du château. Apparemment, une partie du plafond s’était détachée et m’était tombée sur la tête. J’ai demandé où était mon fils Julien. Elle m’a dit qu’il n’y avait aucun enfant dans la maison. Une autre infirmière est entrée, un téléphone à la main, disant qu’un policier de La Louvière voulait me parler « C’est urgent » dit-elle en me donnant le téléphone. Je me suis redressé. C’était un certain Smolders. Il m’a annoncé que ses collègues avaient retrouvé mon fils sur la Place de la Louve. Il cherchait ses grands-parents. Il allait bien. Le policier m’a dit qu’il allait devoir me laisser, car il devait s’occuper de l’accident qui avait eu lieu sur la place - une voiture qui roulait trop vite avait heurté un poteau d’éclairage, « à quelques mètres de vos parents, qui s’étaient arrêtés en entendant votre fils les appeler, mais ils vont bien » ; et que comme il est chargé de la surveillance caméra de la place, il devrait donner une explication sur les causes de l’accident. « Mais avant de vous laisser Monsieur Ciappi, pourriez-vous me dire comment il se fait que votre fils de 4 ans se trouve seul en pyjama à La Louvière à la recherche de ses grands-parents, avec un mot écrit de votre main nous demandant de vous téléphoner à l’hôpital de Verviers ? C’est pour mon rapport, vous comprenez ? »
Publicité
Publicité
14 octobre 2008

Il n’y a pas de toilettes en Bulgarie (4)

On a mis du temps à me le dire. Mes parents sont morts. Maman n’est plus sortie du coma. Papa a fait un arrêt cardiaque quand on lui a dit que sa femme, la mère de ses enfants était morte. Il n’y avait personne quand je suis arrivé. Giordano était introuvable. Les infirmières que j’arrêtais me renvoyaient chaque fois à une collègue. Je marchais au hasard des couloirs, Julien dans les bras. Il n’avait posé aucune question. Il regardait ce qui l’entourait l’air sérieux, silencieux. Finalement, on a bien dû me le dire. Et puis, j’ai vu Giordano. Il était dans le parc, il pleurait assis sur un banc. Il avait les mêmes gestes que quand enfant et qu’il était puni ou mécontent, il baissait la tête, le menton sur la poitrine et il sanglotait. Cela avait toujours eu son effet sur maman, les maîtresses d’école, les femmes en général. Cette fois, personne ne viendrait le consoler. Je n’ai pas écouté ce que le médecin, finalement disponible, me disait, que pouvait-il changer à l’histoire ? Je le regardais, souriais et hochais la tête. Il semblait satisfait, je ne lui causerais pas de problèmes. Je laissais cela à Romolo. Son mètre nonante et ses 130 kg feraient certainement l’affaire. Le docteur Durand trouverait avec lui quelqu’un à qui parler. « Pourquoi tu mens ? ». Julien le regardait bien en face et lui répétais calmement « Pourquoi tu mens ? ». Le médecin avait rougi et avait dit qu’il avait d’autres patient à aller voir. Il ne ferait pas le poids avec Romolo, mais ce n’était pas mon problème. J’ai repris les couloirs en sens inverse. « Pourquoi tu as dit au docteur qu’il ment ? » J’avais calé Julien contre moi. La ceinture nous collait tous les deux contre la banquette du taxi. « Parce qu’il ment ? » « Comment tu sais qu’il ment Julien ? » « Parce que nonna et nonno y sont pas morts ». « Si, ils sont morts. Ca arrive quand on est très vieux ». « Oui, je sais, mais ils sont pas morts ils sont dans une maison près du château. C’est tout vert, il y a une fontaine mais plus d’eau. C’est drôle hein ? ». « Qu’est-ce que tu dis mon bonhomme ? » Julien ne mentait jamais, et je ne crois pas qu’il avait une imagination capable d’inventer une telle chose. « Nonno et nonna ne sont pas morts. Ils sont dans la maison près du château. Ils m’ont dit qu’on peut aller les voir si on veux. » « Quand ils t’ont dit ça Julien ? » « Ben ce matin, avant que je me réveille. On était tous dans la maison près du château. On va aller les voir ? » « Mais comment tu es allé là-bas Julien ? » « Je sais pas. J’étais avec nonno et nonna, et ils disaient qu’on pouvait venir. » « Tu as rêvé mon bonhomme. Un drôle de rêve. Ca arrive parfois que l’on rêve de ceux qui vont partir. On appelle ça des rêves prémonitoires. Tu n’étais pas avec eux. » Julien a retourné sa tête contre ma poitrine. Il me regardait la tête à l’envers. Ses yeux me fixaient. Il avait un sourire très doux. J’ai reconnu celui de ma mère quand elle était certaine de quelque chose et que personne ne la croyait. « Parlez parlez, vous verrez que c’est moi qui avait raison. » Nous sommes arrivés à la maison de mes parents, sans plus avoir échangé aucun mot. Romolo y était toujours. A peine ma-t-il vu que « Pourquoi t’as raccroché tout à l’heure ? Parce que t’es le plus grand, c’est ça !? » « Romolo, ils sont morts. » « Mais quoi ils sont morts ! qu’est-ce que tu racontes encore !? » Il m’a bousculé et est sorti laissant la porte grande ouverte. Je n’ai revu personne ce jour-là. Je me suis installé avec Julien dans ma chambre. Nous avons dormi dans ce qui était toujours resté mon lit. Je n’ai pas bien dormi. Je n’ai jamais bien dormi avec Julien près de moi. (à suivre...)
13 octobre 2008

Il n’y a pas de toilettes en Bulgarie (3)

J’ai passé une bonne partie de la matinée à téléphoner à ma mère. Je voulais lui parler de Julien ; qu’ils continuent à appeler Giuliano ; de ses nuits et de sa disparition de ce matin. Depuis que j’ai quitté Houdeng pour m’installer à Bruxelles, le bout du monde pour mes parents, je leur téléphone tous les jours. C’est la première fois que personne ne répondait. Vers midi, c’est Romolo qui a décroché. Sèchement. « C’est qui ? » « Luca… ça va ? » « Ils ont eu un accident ! » Il accélérait le débit à la limite du compréhensible. « Ce brutto bastardo ! Il a brûlé le feu et il les a renversés. Papa a les deux jambes cassées et maman a tout pris à la tête, elle est dans le coma. Je leur ai toujours dit de jamais passer par là, que c’est dangereux, qu’ils ont qu’à me demander pour aller au marché, tout ça parce que les tomates sont plus fraîches… plus fraîches un cazzo ! y’a les mêmes à Cora… « Romolo, Romolo, ils sont où ? » si je ne l’arrêtais pas, j’allais avoir droit au prix et à la qualité d’un tas d’autres choses que mes parents achètent. « Giordano est avec eux. On a rien dit à Bianca. Moi, je suis passé prendre les cartes de mutuelle, mais je les trouve pas. Tu sais pas où ils les mettent ? » « Romolo, ils sont où ? » « Où tu veux qu’ils soient ! A l’hôpital ! « Oui mais où Romolo ? » « Ah… à Jolimont » J’ai raccroché. Romolo continuait de parler, j’en étais certain. Il aime parler Romolo, depuis tout petit, il parle, il parle, quelle que soit la situation, quel que soit le sujet, il parle, et quand il commence, il ne s’arrête pas. Je n’ai trouvé personne pour garder Julien. Aller le chercher à l’école, prendre le train, aller en taxi à l’hôpital m’a pris deux heures. Ne pas avoir de voitures n’a pas toujours que des avantages. Entrer à Jolimont et marcher dans les couloirs m’a ramené quelques années plus tôt, cette fois-là j’étais avec Agathe ; nous rendions visite à une de ses amies qui avait accouché. J’avais connu Agathe lors d’une soirée organisée par mes parents. J’étais veuf depuis plus d’un an, et mes parents, ma mère surtout, pensaient qu’il était temps, pour le petit surtout, que je rencontre quelqu’un. Agathe était la fille d’une cousine à un degré tel, qu’il n’y avait pas de problèmes à me la présenter. On s’était revu. Et puis on s’était aimés. A peine entrés dans l’hôpital, elle m’avait dit que c’était là qu’était morte une partie de sa famille. « C'est là qu'est morte une partie de ma famille pendant que l'autre moitié rendait l'âme à Morlanwez, dans un autre hôpital qui a été fermé depuis. Ce fut un accident terrible avec deux voitures et une moto impliquées. Au total, sept personnes, toutes mortes... Il s'agissait d'inconnus pour moi mais aussi et surtout de mon parrain, ma marraine, ma nonna et mon jeune cousin. Leur fille n'était pas avec eux. Elle est venue vivre chez nous après le drame, c'est ma cousine Françoise, qui a une quarantaine d'années maintenant, ma quatrième soeur. J'avais quatre ans. Je m'en souviens très bien car ils étaient venus passer la soirée chez nous. Ils s'entendaient très bien avec mes parents, ils partaient en vacances ensemble, ma soeur aînée et mon cousin avaient le même âge, enfin ce genre de choses qui unissent temporairement les gens. C'était le vendredi 13 juin 1980. Il faisait très bon et nous avions passé la soirée sur le morceau de béton coulé à l'arrière de la maison et qui faisait office de terrasse à l'époque. Zia et Zio voulaient rentrer à Famillheureux, chez eux, car ils devaient encore arroser les géraniums. On leur a dit au revoir nonchalamment. On ne les a plus jamais revus. Enfin, si, mon père a insisté auprès des médecins pour revoir une dernière fois sa soeur, fut-elle en morceaux. Ma nonna est la seule à être morte paisiblement car lorsqu'elle a été embarquée par l'ambulance, elle était dans le coma et est décédée quelques heures plus tard. Elle portait quelques bijoux de famille sur elle. On lui a tout volé à l'hôpital... Elle avait notamment des berceuses en or qu'elle avait promis de léguer à ma soeur Agnès qui les adorait. A cause de ces stupides infirmières, elle n'a jamais pu tenir sa promesse. Je suis sure que ces femmes voleuses sont depuis longtemps mortes dans d'atroces souffrances... On ne plaisante pas avec les morts, surtout avec les nonna... Et puis, il y eut les larmes, les cris, les atroces souffrances de mes parents désespérés, et moi complètement paniquée de découvrir que mes parents pouvaient s'effondrer, qu'ils n'étaient pas si forts que ça s'ils pleuraient ainsi. J'ai découvert qu'il n'y avait donc pas que les enfants qui sanglotaient. Et ce fut un drame... C'était il y a 25 ans !!!! Un quart de siècle et mon père continue à allumer des cierges pour eux... Mais pourquoi est-ce que je te raconte tout ça ??? Je ne sais même pas si je l'ai déjà raconté à quelqu'un comme ça. » Je ne sais toujours pas pourquoi elle m’a parlé de cela, mais cet épisode nous avait rapprochés. J’avais aimé qu’elle me parle de son histoire, elle d’ordinaire secrète et taiseuse. Je m’étais dit que les choses prenaient forme, que notre histoire allait continuer son chemin. C’était il y a longtemps, tout c’est passé autrement et aujourd’hui, elle n’est pas avec moi dans ces couloirs. (à suivre...)
12 octobre 2008

Il n’y a pas de toilettes en Bulgarie (2)

Le bruit était habituel. Mon fils s’était levé et il traînait les pieds. Endormi, les yeux grands ouverts. « Qu’est-ce qui se passe mon bonhomme ? » « Il n’y a pas de toilettes en Bulgarie. » Quoi répondre à un gamin de 4 ans qui, en pleine nuit, vous assure qu’il n’y a pas de toilettes en Bulgarie ? Je reconnais volontiers mes limites. Notamment pour n’avoir jamais été en Bulgarie. J’ai échappé à la malédiction du somnambulisme qui semble frapper tous les enfants de la famille depuis des générations, y compris mes frères Romolo et Giordano, et ma sœur, Bianca. Enfant, j’avais assisté à différentes manifestations de cet étrange phénomène. Ce qui me reste en mémoire comme deux événements inquiétants, c’est ma sœur, elle a 5 ans, qui passe à travers une porte vitrée et, ensanglantée, vient s’asseoir à côté de moi, sur le canapé en disant « aujourd’hui le soleil ne se lèvera pas » ; et une autre fois la même qui entre au salon et urine sur le tapis. Un classique, paraît-il. Du moins dans notre famille. Chaque soir, je priais pour ne pas être comme eux. Cela a marché, je crois. Pas pour mon fils. Pour lui, tout a commencé il y a un an. Nous avions entendu du bruit. Agathe s’était levée, elle était rapidement revenue, nerveuse, « viens voir, Julien est debout, il essaie d’ouvrir le frigo avec son épée. » J’ai compris immédiatement ce qui lui arrivait. Je suis allé lui parler ; comme j’avais vu ma mère le faire chaque fois que l’un de ses enfants se levaient dans sa nuit ; et je l’ai ramené dans son lit, doucement, sans difficultés. Agathe était inquiète. Cette inquiétude s’est amplifiée au fil des nuits. Petit à petit, l’inquiétude a fait place aux reproches, puis aux accusations. Un jour, elle est partie, fatiguée de nous deux. Agathe n’était pas la mère de Julien. Juliette est morte peu de temps après la naissance de son fils. Elle s’est suicidée. Sans rien laisser comme explication. Nous laissant, Julien et moi, sans autre choix que continuer sans elle. J’ai mis du temps à me rendormir. Mon sommeil avait été occupé par des rêves où je tentais désespérément de quitter la Bulgarie, sans y parvenir. Je me suis réveillé tard, il était passé 9 heures. Le silence qui m’entourait m’a tout de suite paru étrange. Je me suis précipité dans la chambre de Julien, la peur au ventre. Il n’était pas là. Il n’était nulle part dans la maison. Je courrais, je passais d’une pièce à l’autre, je suis sorti dans la rue. Personne. Qui a perdu un enfant de vue, même quelques minutes, sans savoir où il se trouve sait l’état dans lequel je me trouvais. On panique. On ne sait pas vraiment où ni comment chercher. On réfléchit. On pense aux derniers moments où on l’a vu dans l’espoir de voir où il va, où il est. Mais penser à tout cela ne faisait qu’augmenter mon malaise et mon angoisse. J’étais près de la porte d’entrée quand j’ai entendu Julien appeler « Papa ! » Sa voix était claire et assurée. Je suis rapidement retourné dans sa chambre. Il était assis dans son lit, il souriait. « Où étais-tu mon bonhomme ? » « Je sais pas, je dormais » « Oui, mais quand tu t’es réveillé, tu es allé où ? » « Ici. Je suis réveillé et je suis ici. J’ai faim ! » Je l’ai pris dans mes bras, le serrant et nous sommes descendus. Durant le déjeuner Julien n’a rien dit. Il mangeait sa tartine au beurre salé, sans les croûtes, et buvait son chocolat froid, comme chaque matin. Il me regardait parfois, silencieux et souriant, comme chaque matin. J’étais certain qu’il n’était pas dans sa chambre quand j’y étais allé, ni ailleurs dans la maison. Julien n’avait pas envie d’aller à l’école, comme souvent depuis quelques semaines. Cela ne m’inquiétait pas vraiment. Nous sommes arrivés en retard à l’école. J’ai averti son institutrice que Julien avait mal dormi, sans parler de somnambulisme ni de disparition. Puis je suis rentré chez moi comme chaque jour depuis bientôt six mois que je suis sans travail. Un matin, j’avais reçu un message sur ma boîte vocale : « Ceci est un message pour Luca Ciappi. La direction a décidé de réorienter ses activités. Celles-ci ne vous concernent désormais plus. A partir de ce jour, vous ne faites plus partie de ses collaborateurs, vos effets personnels vous seront renvoyés par colis dont vous voudrez bien acquitter le montant du transport. » C’était la voix d’Aurore. Nous avions passé trois ans dans le même bureau et partagé quelques repas et confidences. Elle me vouvoyait pour la première fois. Cela m’a étonné, plus que de perdre mon boulot. (à suivre...)
11 octobre 2008

Il n’y a pas de toilettes en Bulgarie (1)

L’agent Smolders avait déjà visionné toutes les bandes quatre fois. Sept heures de pellicule pour rien ; absolument rien n’avait attiré son attention de manière déterminante. Les six caméras qui, depuis quelques semaines se trouvaient sur la Place de la Louve, avaient été placées de manière à ne rien perdre de ce qui s’y passait. Et Eugène Smolders ne trouvait rien. Repassant les images pour la cinquième fois, il avait décidé de suivre un grand chauve. L’homme était arrivé à 8 heures précises. Il avait débouché sur la place venant de la gauche. Il s’était arrêté et avait longuement observé la place. Il portait un imperméable beige, des pantalons jeans et devait avoir 30 ans. L’agent Smolders nota cela dans son carnet. L’homme avait fait le tour complet du marché. Il s’était arrêté chez Gaetano et avait acheté des légumes – des poivrons, des tomates et des aubergines. Deux échoppes plus loin, il avait acheté des fleurs, des tulipes sans doute, et il avait ensuite longuement hésité dans l’achat d’une écharpe bleue. Jouant du zoom, Eugène Smolders examina comment deux jeunes s’étaient rapprochés de lui et lui avaient fait les poches. L’homme n’avait rien vu. A 9h15, la voiture arrivait toujours trop rapidement. Elle percutait à nouveau le poteau d’éclairage installé depuis deux jours à peine. C’est au moment où il lui semblait apercevoir un bambin en pyjama traverser la place en criant, puis disparaître sans raison, que le système vidéo était tombé en panne. Cette cinquième vision n’avait rien appris de plus à l’agent Smolders, sinon qu’un homme chauve vêtu d’un imperméable beige et de jeans s’était fait voler son portefeuille par deux gamins. Il avait aussi vu, sans bien comprendre, un enfant se volatiliser ; sans doute se repasserait-il la bande une sixième fois, mais pas aujourd’hui. Mais décidément rien de neuf sur les causes de l’accident qui avait eu lieu la veille, 14 juin, et qui avait coûté la vie à un poteau d’éclairage. (A suivre...) *****************************************************************************************************************************************************************
8 octobre 2008

Sur la photo en bas à gauche

Il ne manquait plus que ça, et dans le journal encore bien. Je me disais, mec si t’as pas trouvé de quoi remplir la grande gueule de ce connard d’inspecteur avant demain matin, gare à tes fesses. Et bien là, j’avais de quoi lui clouer le bec que même à ‘SOS Répar’ ils pourraient rien pour lui. Il est là le putain d’indice, dans le papier de ce fouille merde de Durieux – enfin pas dans l’article, ça tout le monde s’en fout – c’est sur la photo, en bas à gauche, le miroir de l’armoire, y’a une trace de main. D’accord, faut bien regarder, mais c’est pas croyable, les mecs de la boîte, ils ont mitraillés tout ce qui ne bougeait plus, à commencer par cette pauvre vieille à qui on avait mis la tête sous le paillasson en appuyant bien fort pour être sûr qu’on la trouverait pas, et bien pas un seul cliché qui montrait cette putain de main à quatre doigts. Comment ont-ils pu rater ça ? Cinq jours qu’on s’est cassé le cul pour trouver quelque chose, résultat : que dalle ! et l’autre ignoble qu’arrêtait pas de gueuler que si samedi on avait rien, on allait voir. Tu parles… Je vais la lui mettre dans la gueule moi l’armoire et la main avec ! Faut dire, pour être de bon compte, que Conchita, elle nous a pas facilité la tâche. Imaginez. Elle entre dans la chambre, elle trouve la vieille la tête en forme de crêpe bretonne et qu’est-ce qu’elle nous fait ??? elle range, elle frotte, elle astique, elle pomponne, elle désodorise, elle refrotte, elle essuie. Plus rien qui nous restait, encore un peu elle reperruquait la vieille qui ni vue ni connue aurait terminé sa sieste sans plus être dérangée. Et nous on la regardait faire, on en revenait pas…du jamais vu. C’est quand elle nous a demandé si on voulait bien sortir, le temps qu’elle passe l’aspirateur qu’Antoine, ça l’a contrarié. Il lui a mis une droite tellement droite qu’à côté d’elle, la vieille avait tout à coup l’air plus sympathique. Mais ça n’a pas duré. Pensez, ça faisait bien cinq heures qu’elle devait chercher sa tête sous le paillasson, et à cet âge là, vous savez ce que c’est, on ne retient plus tout ce qu’on veut. Alors, épuisée, elle a tout lâché. Tout est parti. Tout je vous dis, et nous aussi. On n’en pouvais plus, j’sais pas ce qu’elle avait bouffé la vieille, mais jamais je donnerais ça à mon chat, jamais. Enfin, on est sorti en gueulant bien de toucher à rien, surtout à Conchita ; mais pour être sûr Antoine a balancé l’aspirateur par le fenêtre « On sait jamais ! » qu’il a dit. Personne a relevé. Il est comme ça Antoine, quand quelque chose n’est pas à sa place, il balance. La dernière fois, c’était chez Gino, le bar où on rallonge nos journées quand elles sont trop courtes. Y’avait un type qu’arrêtait pas de chanter. Ca n’a fait ni une ni deux, il lui a mis la tête dans le juke-box, entre Franck Sinatra et Dario Moreno. A sa place, j’aurais pas été à mon aise, pensez, le type c’était plutôt le genre Parsifal qui le branchait, rien à voir avec Sinatra ou Moreno. J’y connais pas grand chose, mais Parsifal, on m’a dit que c’est l’histoire de la quête du Graal, et bien le type, on peut dire que la coupe elle était pleine et qu’Antoine, ben c’était la grosse goutte qui l’a fait déborder. Soit, on avait donc laissé les deux femmes se remettre de leurs émotions. Quand on est revenus, la vieille, ses esprits, elle les avait définitivement perdus. Conchita, par contre, émergeait dans une confusion toute ibère, à laquelle personne ne comprenait rien – mais bon on s’est bien douté que c’est sur nous qu’elle gueulait. Pour plus avoir à l’entendre, on lui a dit de partir. Et on a continué notre boulot pépère. Les gars du SAMU sont arrivés peu après, et ils ont embarqué la vieille. C’est là qu’on s’est dit qu’on aurait du attendre avant de renvoyer Conchita, parce que la vieille, dans son état, elle a pas pensé à emmener toutes ses affaires, et on peut dire qu’elle était dans de sales draps. Si je vous ai parlé de Gino, c’est pas pour l’opéra. Dans son bar, à gino, on peut dire que s’y arrête tout ce qui a de plus louche dans cette ville. Pensez, il est à 50 mètres de la prison, alors ça défile. Antoine et moi, on y passe souvent. On prend les Paris sur le prochain qui fera une connerie et qui se fera prendre. On peut dire qu’y en a qu’on pas de chance, aussitôt sortis aussitôt ils replongent. Question de style sans doute. Un jour Antoine, il a eu une idée. Il a demandé à Gino ; enfin demandé, maintenant que vous connaissez Antoine, vous aurez compris que cest pour la forme ; il a demandé de recouvrir ses tables de plaques de verre, comme ça on peut récolter les empreintes des louches et surtout de leurs potes qu’on encore rien fait mais que ça ne saurait tarder. Gino note le n° de la plaque et qui était où. Alors comme ça on sait qui travaille avec qui, ça aide pour les paris. Vous allez pas me croire ... les empreintes, vous savez à qui elles sont ? Au patron… c'est en récupérant la photo originale, on a pu avoir l'empreinte... Quand je vous disais que j’allais la lui murer moi sa grande gueule. Mais d’abord, faut que je parie avec Antoine, parce que ce coup-là, il pourra jamais trouver.
Publicité
Publicité
1 2 > >>
des mots et des blancs dessous
Publicité
Publicité